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Communication, intersubjectivité et relation thérapeutique
Présentation de l’ouvrage qui sera disponible début 2025 aux éditions De Boeck University
L’intersubjectivité fait référence à la façon dont les individus partagent et comprennent mutuellement leurs expériences, perspectives et significations. C’est la base des interactions sociales, où la compréhension commune contribue à la construction de la réalité partagée.
La question de l’intersubjectivité existe depuis longtemps mais n’a fait l’objet d’un interêt particulier de la part des neurosciences que depuis une vingtaine d’années. Les chercheurs de nombreux pays se sont penchés sur la question des troubles de la communication chez les adultes et sur leurs origines dans la petite enfance. Nous savons dès à present que le foetus au sein de la matrice maternelle possède déjà des protoconversations avec sa mère et son père. Pendant toute la vie foetale, la prime enfance, la petite enfance, l’adolescence et l’état de préadulte, la vie psychique interrelationnelle se construit pas à pas en se complexifiant. Ce long apprentissage présente parfois, sinon très souvent des erreurs de parcours, des obstacles franchissables et de temps à autres totalement infranchissables.
Nous passerons en revue les différents obstacles qui ont concourus à ces interruptions dans la communication adulte. Comment les repérer afin de les éviter pour les générations suivantes et nous protéger de certains de nos dysfonctionnements et de ceux d’autres personnes ?
Nous nous nous sommes demandé comme d’autres auteurs comment, et s’il était possible, sinon de guérir du moins, de tenter d’atténuer ces deficits psycho-anatomico-neurofonctionnels de manière à améliorer cette intersubjectivité entre les êtres humains.
L’ouvrage ici présenté est le fruit de la réflexion menée depuis plusieurs décennies par des chercheurs de tous continents et d’approches multiples et différentes. L’auteur reprend et déplie pas à le développement psychique et neurodéveloppement de l’enfant dans une perspective basée sur l’intersubjectivité. Nous devons dès lors passer de l’approche psychothérapeutique à une personne à une psychothérapie à deux personnes. “Il n’y a pas de JE sans TU” sera un des fondements majeurs de cette analyse.
Après avoir développé la genèse de l’intersubjectivité, à travers les divers modèles théoriques d’accès à l’intersubjectivité, que sont le neurodéveloppement, les théories de l’attachement, les neurosciences et la psychanalyse de la relation d’objet, l’auteur aborde les facteurs perturbateurs de l’intersubjectivité. Il introduit la question des enjeux de l’intersubjectivité dans les troubles multiples et complexes du développement et des troubles de la personnalité. Il illustre les divers concepts par quelques vignettes cliniques.
Quel est l’impact des entretiens par video-conférence sur la relation thérapeutique avec les personnalités borderline, en videoconference ?
Comment gérer ces troubles de l’intersubjectivité au sein des relations familiales, la relation de soin en médecine et en psychothérapie ? Quelles types de psychopathologie de l’intersubjectivité peut-on rencontrer dans la vie quotidienne ou dans la vie professionnelle ?
Et enfin quelles pistes concrètes pourrait-on envisager pour améliorer notre communication de tous les jours avec nos proches et tenter de pouvoir l’améliorer, de même avec les patients ? Quelle posture intersubjective les thérapeutes pourraient-ils acquérir pour dépister et tenter d’améliorer les deficits intersubjectifs chez leurs patients ?
Le lecteur trouvera en fin d’ouvrage une bibliographie centrée sur les questions d’intersubjectivité et les divers apports qui ont concourus à l’élaboration de cet intersubjectisme. Une table d’index et un glossaire complètent ce livre. Le lecteur est renvoyé aux autres ouvrages publiés par l’auteur où il trouvera développées les notions évoquées dans ce présent essai.
Cette bibliographie générale reprend les ouvrages conseillés en matière de neurosciences, de neurodéveloppement, de théories de l’attachement, et de courants humanistes.
Préface
Comment j’interagis avec l’autre, mon conjoint, mon amie, mon enfant, mon patient ? Cette notion d’intersubjectivité a t- elle encore du sens dans ce monde actuel, où l’auto-centration, l’immédiateté, l’impulsivité et la rapidité sont des constats incontournables ? Comment l’intégrer avec l’arrivée de l’intelligence artificielle ?
L’intersubjectivité pourrait se définir comme la capacité de percevoir le monde interne et le monde externe et chez soi et chez l’autre. Elle naît de l’apprentissage progressif de la découverte et de la gestion de l’empathie sous ses différents stades et aspects.
Ce concept d’intersubjectivité émerge dans l’après-guerre suite aux travaux des premiers théoriciens de l’attachement, de la psychanalyse de la relation d’objet, des chercheurs et cliniciens du neurodéveloppement, des recherches récentes sur la périnatalité, de la psychologie du développement, de la psychologie sociale et des neurosciences cognitives.
Cette conception résulte des multiples observations cliniques phénoménologiques et des travaux de recherche menées par une foule de scientifiques comme John Bowlby, Mary Ainsworth, Mary Main, Mélanie Klein, Wilfred Bion, W. D. Winnicott, Michaël Balint, Daniel Stern, René Spitz, Esther Bick, Geneviève Haag, Didier Anzieu, Serge Lebovici, Donald Meltzer, Thomas Berry Brazelton, Colwyn Trevarthen, Peter Fonagy, Giacomo Rizzolatti, Corrado Sinigaglia, et plus récemment de Jean Decety, Arlette Streri, Philippe Rochat, Didier Houzel, Bernard Golse, Nicolas Georgieff, Albert Ciccionne, Mario Speranza, René Roussillon, Gilles Delisles, Allan Schore et bien d’autres.
Historiquement, Sigmund Freud et ses successeurs se sont intéressés au développement du psychisme humain et ont lancé leurs recherches et leurs approches à partir d’une psychologie à une personne.
Grâce aux réflexions interdisciplinaires et aux partages de multiples découvertes, les chercheurs se sont rendu compte des potentialités du fœtus, du nourrisson et de l’enfant en matière d’interactions avec le monde extérieur et en particulier avec l’Autre, « l’objet » et ce manière innée. Nous avons alors vu s’élaborer une psychologie à deux personnes et ce fut le début de la théorisation de l’intersubjectivité.
Didier Houzel nous explique que l’« intersubjectivité est un processus lent qui naît d’une intersubjectivité primaire acquise d’emblée à la naissance dans la perspective des théories du neurodéveloppement » (D. Stern, C. Trevarthen). Rencontrer l’autre est la voie pour échapper au chaos psychique. En effet, dit-il, le sujet humain naît d’une rencontre et non d’une rupture. C’est l’intériorisation de cette rencontre va l’amener à la réflexibilité et à sa subjectivation. Bernard Golse nous rappelle que ce sont les travaux de Jean Decety qui ont permis de comprendre comment la capacité d’empathie primaire innée du nourrisson contribue et participe à l’ontogenèse de l’intersubjectivité. J. Panksepp et Alan Schore développent les neurosciences affectives.
René Roussillon aborde plus récemment, le concept d’inter-intentionnalité considérant que la dialectique intersubjective est une dialectique de l’inter-intentionnalité. C’est au niveau des intentions supposées que s’établissent les échanges. « L’exploration de l’intention de « l’objet l’autre-sujet », serait alors considérée comme l’une des problématiques centrales de l’intersubjectivité ».
Toutes ces notions sont développées sur base de l’expérience clinique et de la supervision au fil des chapitres dans cet ouvrage en nous rappelant bien qu’il s’agit de réflexions et d’hypothèses de travail sans qu’il y ait de consensus définitifs sur les différents modèles explicatifs avancés.
Néanmoins, cette approche affine notre présence face à ce qui n’est pas nous, l’Autre au sens large et notamment nos conjoints, enfants, amis et les patients que nous avons en charge.
Qu’en est-il de nos propres capacités d’intersubjectivité ? A quel niveau en sommes-nous ? Quelles interruptions dans notre propre psychogenèse ont-elles empêché d’atteindre l’intersubjectivité tertiaire ou empathie réciproque mutuelle ?
Le dialogue interdisciplinaire et la prise en charge transdisciplinaire nous paraissent essentielles en parallèle avec les récentes découvertes des neurosciences, l’actuelle psychanalyse de la relation d’objet, le neuro-cognitivisme, les théories de l’attachement, de l’empathie pour envisager ce nouveau prisme de l’intersubjectivité.
Comprendre les troubles affectifs, les troubles mentaux et leur souffrance à travers le filtre des déficits et des dysfonctionnements rencontrés au fil de l’élaboration du psychisme de nos patients, conjoints et enfants ainsi que de la nôtre, est réjouissant et apporte plus de tolérance grâce à une compréhension plus fine des enjeux rencontrés.
Une compréhension fine de la construction de l’intersubjectivité et ce depuis la vie fœtale, la petite enfance et durant l’étape essentielle de l’adolescence jusqu’au début de l’âge adulte permettra au lecteur d’appréhender chez lui, chez ses proches et ses patients les malheureuses embûches qui leur ont empêché de bien interagir. Des vignettes cliniques illustreront le propos.
Un chapitre sera dédié aux découvertes scientifiques récentes sur les mécanismes cérébraux, moléculaires et sur les facteurs environnementaux psychiques, toxiques et alimentaires. Comment ces facteurs interfèrent-ils au niveau des capacités neurologiques et intersubjectives du nourrisson, du petit enfant et de l’adolescent. Quels dégâts sont provoqués sur la croissance neuronale, notamment pendant les zones critiques du développement ?
La quatrième partie de l’ouvrage aborde la question de la posture intersubjective du soignant et des pistes thérapeutiques pour ces patients en mal d’interactions avec les autres. Comment pourrait-on envisager faire prendre conscience des déficits au sein de leurs interactions humaines ou même de leurs incapacités à partager, dialoguer, rencontrer l’autre, etc. ?
La prévention primaire débute dès que l’idée de la conception émerge ou pas dans la tête des futurs parents ? Qu’en est-il des grossesses non désirées, de l’absence du géniteur, des enfants conçus à l’issue d’un viol ? Quel est le rôle du père ? Qu’en est-il de l’absence du géniteur ?
Comment en matière de prévention secondaire, pourrait-on envisager de corriger ne fut-ce, qu’à minima, ces lacunes intersubjectives.
Qu’en est-il de la capacité à penser ? Quelles sont les issues et les enjeux des interactions mère et père-enfant, de l‘apprentissage à la socialisation ? Quel est l’importance des proto dialogues et des interactivités précoces ainsi que de la rythmicité dans les relations archaïques et quels impacts ont-ils dans la relation soignant-soigné ? Quels conseils donner aux médecins, aux psychologues, aux psychothérapeutes et aux paramédicaux au niveau de leur posture thérapeutique ?
Tous ces concepts interviennent et sont des enjeux identiques au sein de nos familles, nos couples. Sommes-nous personnellement aptes à interagir sainement avec l’autre ?
Dr Michel Delbrouck