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Psychothérapie Humaniste Multi référentielle
Par le Docteur Michel Delbrouck.
Devant la floraison de multiples approches et techniques médicales et psychothérapeutiques, le patient et le soignant pourraient se trouver perdus sinon démunis. Nous aimons à rappeler l’importance d’un fil rouge qui donne structure à la prise en charge thérapeutique que ce soit en médecine ou en psychothérapie.
Intégration et éclectisme
Pour le dictionnaire Robert, est éclectique, la personne qui admet plusieurs genres, plusieurs opinions et qui fait preuve de diversité dans ses goûts. En psychothérapie, ce serait une personne qui se servirait de diverses techniques qu’elle a apprise de-ci de-là et qu’elle applique au gré des situations pour ce qui lui paraît être utile et nécessaire au moment présent et pour le problème précis posé par la personne.
L’intégration signifie l’incorporation de nouveaux éléments à un système ainsi que l’établissement d’une interdépendance plus étroite entre les parties. Intégrer, c’est refuser la dispersion, c’est mettre du lien, du sens dans ce que vit notre patient. C’est se questionner mais aussi lui laisser le temps de se questionner.
Nous serions donc à l’opposé de l’intégrisme, qui est une attitude qui consiste à refuser toute évolution d’une doctrine. Nous refusons le doctrinaire mais soutenons plutôt le désir de s’entourer de regards autres que le sien. Cela nécessite donc de se former de manière très efficace et performante dans une approche que l’on a choisi au départ et de compléter cette approche en intégrant d’autres regards et d’autres angles de vue.
L’intégration est un terme ombrelle qui recouvrirait une grande étendue de significations : un rapprochement entre différentes positions théoriques, une convergence d’idées et de techniques, une sélection variée de méthodes distinctes et une véritable intégration dans des thérapies intégratives spécifiques. Pour certains, les progrès théoriques et thérapeutiques potentiels sont désormais limités au sein de chaque école. La seule source réelle de progrès venant actuellement de l’extension de chacune d’elles par incorporation de théories et de faits cliniques provenant de champs d’investigation différents. Chaque approche se constitue en modifiant et en agrandissant par d’autres apports un système antérieur. L’intégration parfois nommée pluri-référentialité, acquiert progressivement une audience et une adhésion de plus en plus grandes.
La psychothérapie humaniste multiréférentielle est née par l’utilisation des apports provenant des courants théoriques divers : psychologie cognitive, courants humanistes, phénoménologiques, gestaltistes, reichiens et néo-reichiens, psychanalyse, analyse systémique, neurosciences, sociologie familiale, etc. Il ne s’agit pas d’une nouvelle approche mais d’un procédé qui emprunte clairement ses dispositifs aux approches citées. Cependant, les principales questions sont de savoir si ces techniques sont aussi différentes et aussi efficaces qu’elles le paraissent et si le fonctionnement psychique qu’elles décrivent ne présente pas des aspects communs qui pourraient être intégrés dans un modèle théorique plus complet et plus complexe ?
La question de cette intégration suppose des études scientifiques et comparatives. Comment intégrer cette pluriréférentialité ? Une psychologie clinique bien pensée pourrait concevoir l’intégration théorique et son corollaire, l’éclectisme technique.
De l’importance d’un fil rouge qui donne structure à la prise en charge thérapeutique
Si nous voulions résumer notre position quant à la prise en charge thérapeutique d’un patient, nous dirions qu’il s’agit avant tout d’avoir une vision holistique de l’individu. La vision holistique évoque une vision globale de l’être patient en face de nous qui consiste en sa prise en charge complète, même si nous ne nous occupons pas de tous les secteurs de sa vie.
Un fil rouge relierait tous les éléments et maintiendrait la structure dans son ensemble. Il s’agirait de placer la prise en charge du patient au sein d’un processus comprenant diverses polarités et non une vision univoque basée et contenue dans un seul mode de pensée, d’interprétation ou de compréhension du monde et des individus. L’intégration s’oppose au réductionnisme théorique. Si nous regardons ce fil rouge sous divers angles de vue, nous pourrions évoquer la personne du soignant, la personne du patient, la méthodologie, le contexte et la relation soignant-soigné.
La personne du soignant
Habiter son être paraît être un des éléments important du fil rouge, de la colonne qui structure et sous-tend l’édifice. Et cet édifice est le thérapeute. Un thérapeute debout, structuré, bien dans sa tête, dans son cœur et dans son corps a plus de chance d’être structuré et de servir de pilier pour son patient.
Nous pensons qu’une approche phénoménologique où la relation à l’environnement, à l’objet, au non soi apparaît essentielle ; cet objet n’est pas uniquement l’autre mais le contexte dans lequel vit la personne, son milieu de vie, son univers professionnel, les personnes qui l’entourent, la société et la culture, etc. Nous ne devons pas nous occuper uniquement de son intrapsychique mais également nous préoccuper ou nous questionner à propos de sa santé, de son sommeil, de son équilibre affectif, financier, etc.
La question de l’autorité morale, due à la position sociale et de l’autorité sapientiale, due aux compétences supposées et réelles, du thérapeute demeurent essentielles. Soulignons ici, le danger de la toute-puissance du soignant médecin ou du psychothérapeute. La nécessité de la compétence professionnelle va permettre de porter un regard pluriel à la fois sur la personne, ses manières d’être au monde, son type de personnalité, son histoire personnelle, sa culture, sa race, ses aspirations philosophiques, etc. Rappelons ici l’exigence de la Loi sur les connaissances théoriques dans le domaine de la psychologie clinique de la psychopathologie, de la psychopharmacologie, etc.
La personne du patient
Nous aurons à tenir compte de l’organicité de la personne en face de nous, de l’impact de l’inné (facteurs génétiques, hormonaux, traumatismes divers, affections ou maladies organiques, comorbidités, alcoolisme, toxicomanies, vulnérabilité génétique, fragilité du système nerveux autonome, etc.) En effet, des soubassements organiques, des facteurs d’organicité sous-tendent certaines affections mentales : citons quelques exemples !
• Personnalité borderline (hyperactivité des amygdales cérébrales, hypoactivité du cortex préfrontal et du cortex orbito-frontal)
• Troubles bipolaires (individus porteur du gène présentent potentiellement une fragilité et vulnérabilité importances de facteurs de stress et environnementaux)
• Dépressions graves et grands suicidaires (réduction de calibre des faisceaux sérotoninergiques du locus coeruleus vers le cortex préfrontal)
• Troubles alimentaires (Rôle de la leptine hormone peptidique qui régule les réserves de graisses dans l’organisme et l’appétit en contrôlant la sensation de satiété)
• Troubles du sommeil (syndrome d’apnées du sommeil, Narcolepsie, etc.)
• Obsessionnalité – Impulsivité (rôle des déficits en sérotonine)
Nous aurons également à tenir compte des facteurs acquis (histoire familiale et à l’importance du narratif dans la prise en charge, de l’existence de traumatismes par excès ou par défauts, des familles d’anxieux, des réponses de type médical face à l’anxiété, cancérophobie, des réponses de type alimentaire face aux émotions, du climat de suspicion, des modes de fonctionnement culturel, notamment dans les populations minoritaires, du niveau socio-économique, des abus de substances licites et illicites)
La méthodologie
Un élément de base de la formation du soignant comprend sa capacité de communication et d’écoute active. (des techniques de communication de base aux apports Rogériens, Balintiens, Winnicottiens, etc.) De même, le psychothérapeute aura à donner de l’importance au corps, au psycho-corporel et aux émotions, rappelant en cela le caractère indissociable entre corps et esprit.
Il nous paraît essentiel d’enseigner et donner de la place à la crise et à l’urgence (l’idéation suicidaire, la perte d’emploi, la délire, la décompensation psychotique et/ou dépressive, les pulsions homicides, les états de régression), mais en l’englobant dans un tout qui est le patient. Le psychothérapeute ne peut faire d’impasse ni de la crise, ni du continuum du processus. En médecine, les hyperspécialisations sont indispensables et comportent également un risque d’éclatement, de dispersion de l’individu patient en un morcèlement du soin tel qu’il pourrait risquer de perdre sa propre identité. De même, beaucoup de jeunes généralistes se spécialisent uniquement dans l’urgence, limitant ainsi de manière compréhensible, leur nombre d’heures de travail et ne devant plus assumer le continuum des soins de base, sectorisant également le patient dans sa prise en charge. En psychothérapie, l’arrivée de nouvelles techniques dérivées de découvertes des neurosciences amène certes un soulagement d’un nombre spécifique de plaintes mais risque également de sectoriser le soin et de ne plus poser ce regard holistique, global, humanisant l’ensemble de l’être souffrant en face de nous.
Porter un regard systémique nous éloigne de la conception médicale stricte (cause – effet) pour envisager la problématique du patient sous un angle de circularité et d’évolutivité. Il permet aussi d’admettre l’importance des micro-changements qui modifient considérablement ces systèmes familiaux ou ces souffrances psychosomatiques.
Sommes-nous partisans ou non de la prise de distance par rapport au strict diagnostic psychiatrique enfermant la personne avec une étiquette qui va lui coller à la peau, à sa labellisation avec son danger de réductionnisme et de psychologisation ?
Ajoutons le danger d’une réponse médicamenteuse univoque à la souffrance psychique en minimisant ou supprimant l’importance du psychisme comme vecteur de changement et d’amélioration.
Le contexte – la relation soignant-soigné
Notre position clinique de bas accentue l’importance de la relation soignant-soigné et la nécessité d’un partenariat même si la relation reste asymétrique. Vont donc en découler les questions relatives aux mouvements transférentiels et contre-transférentiels ou dus à la relation réelle entre ces deux partenaires de la relation.
Nous insistons sur l’importance du réseau de santé avec l’inscription du psychothérapeute et du médecin dans ce réseau de santé plus large de l’art de guérir. Cela nécessite de la collaboration et de la coordination, ainsi que de la transmission des données importantes dans le respect du secret médical et du contenu de l’intime. Médecin de famille, médecin psychiatre, psychologue du PMS, psychologue et médecin du travail, médecin conseil de la mutuelle, etc. se doivent de collaborer.
Une triple lecture du patient
Suivant la position clinique que nous assumons face au patient qui vient nous consulter, nous pouvons porter un triple regard ou une triple lecture de ce qui est amené par le patient en consultation, dans le respect du mandat qui nous est octroyé explicitement par le patient.
• 1ère lecture :
Une première lecture se ferait dans l’ici et maintenant de la plainte avec les comportements, les attitudes, les interactions et les modalités de contact entre les deux partenaires du soin.
• 2ème lecture :
Une seconde lecture permettrait avec le même matériel apporté par le patient de travailler sur les opposés ou les polarités, sur ce qui est dit et n’est pas dit et sur les émotions sous-jacentes. La capacité de regarder au-delà du symptôme physique ou psychique, au-delà de l’apparence de l’être et de ses comportements, de l’hypothèse diagnostique présupposée, de la maladie vécue va ouvrir considérablement les modalités de compréhension et de thérapeutique. De même, le repérage des synchronicités, des isomorphismes entre ce que vit le patient et ce qui se rejoue en consultation, et/ou en supervision peut apporter aux deux partenaires du soin une compréhension plus large de ce qui se vit.
• 3ème lecture :
Les deux premières lectures sont possibles en médecine et en psychothérapie. La troisième lecture entrera plus dans le champ des prises en charge de à orientation psychanalytique avec la perception des structures inconscientes, du niveau de l’inconscient personnel, familial et collectif.
Osons enfin aborder l’importance de la relation herméneutique, de la psycho-éducation et des notions de prévention primaire, secondaire et tertiaire, tant en médecine qu’en psychothérapie.
De même, tenir compte du contexte consiste à concevoir une distinction claire entre l’espace professionnel et l’espace privé, à poursuivre des impératifs d’éthique professionnelle et de respect de la déontologie.
Voilà donc le fil rouge de notre conception de la relation thérapeutique.
Bibliographie
DELBROUCK M., Psychopathologie, manuel à l’usage du médecin et du psychothérapeute, Bruxelles, De Boeck, 2013, 2ème édition.
DELBROUCK M., La relation thérapeute en médecine et en psychothérapie, Bruxelles, De Boeck, à paraître en automne 2015.
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DELOURME A., ÉDMOND M., Pratiquer la psychothérapie, éd. Dunod, 2004 ISBN 2-1000-6881-4
DURUZ N., Psychothérapie ou psychothérapies ?, éd. Delachaux & Niestlé, 1994 ISBN 2-6030-0911-7
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EDMOND M., Guide pratique des psychothérapies, Retz, 2008.
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